Discours de Barbara Kosen

prononcé devant la très grande sangha sôtô

au temple de La Gendronnière en 2017

« N’entrons pas dans un système de grades et de positions, mais faisons en sorte que les jeunes moines, l’avenir de nos missions, manifestent l’esprit du bodhisattva et se tournent vers le monde sans se laisser influencer.  »

Photo : Dojo du temple Shorinji situé à 175km de Madrid (zenkan.com).

Maître Taisen Deshimaru est le maître qui m’a enseigné la pratique de la Voie. Je suis devenue sa disciple et j’ai reçu l'ordination de nonne au dojo de Paris en 1975. J'ai pratiqué près de lui. Après sa mort j'ai passé trois ans au dojo de Zurich en Suisse puis sept années au dojo de Genève. Pendant ces dix années j’ai continué à pratiquer dans notre temple de la Gendronnière. En 1993 j’ai reçu la transmission du Dharma des mains de maître «osen Thibaut ici même à la Gendronnière. Maître Kosen nous a transmis le Dharma en suivant le rite de la même cérémonie que celle qu’il avait reçue de Renpo Niwa Zenji. L’année suivante j’ai établi un dojo à Madrid.

Il est traditionnel, paraît-il, que le maître zen laisse un dernier poème avant de mourir. Pour tous ses disciples maître Deshimaru a écrit : « Continuez zazen éternellement. » Bien sûr quand j’ai parlé de cette phrase aux pratiquants du nouveau dojo de Madrid, il y a eu un petit malin pour me dire : « L’éternité cela n’existe pas. » Mais il ignorait que malgré l’éloignement de ma sangha originelle, grâce aux mérites de la transmission du Dharma j’étais accompagnée des vieux maîtres du passé qui me poussaient en me pressant d'avancer et de protéger la transmission. C’est cela l’éternité de la pratique, elle ne s’arrête jamais et finalement, dans l'éternité je ne suis jamais seule.

En 2001 l'Asociación Zen Taisen Deshimaru, fondée à Madrid en 1996, a acheté un terrain sur le versant de la Sierra de Gredos pour y établir la pratique de la Voie. Nous y avons fondé le temple de Shorinji, Temple de la forêt de l'Eveil. Cet endroit est devenu rapidement le lieu où nous organisons les sesshin tout au long de l’année et où résident entre 4 et 8 personnes en permanence. Zazen en est le cœur.

Dans l’enseignement que j’ai reçu, le zen est zazen. Pourquoi n’ai-je pas évolué vers un zen plus institutionnalisé où la concentration sur les cérémonies devient la manifestation de l’esprit zen ? Pour la bonne raison que depuis le premier jour où je me suis assise en zazen, la pratique a été bonne pour moi. Elle a permis de rééquilibrer ma vie, me rendre vivante consciemment. Elle a permis que j’abandonne le cortège de discriminations naturelles que je portais en moi. Elle m’a dirigée vers une profonde connaissance de moi-même qui naturellement m’a ouverte vers les autres existences. C’est cela que j’ai voulu transmettre à ceux qui venaient vers le dojo. Pourquoi ajouter autre chose ? Le zen est très simple, c’est pour cela qu’il nous paraît si compliqué. L’important pour les étudiants c’est de retrouver le véritable bonheur d’être.

L'un des grands enseignements de maître Taisen Deshimaru était sur le problème de la destinée humaine. Équilibrer le monde matérialiste avec le monde spirituel. Nous sommes témoins dernièrement du visage politique mondial où la lutte pour le pouvoir prend le visage du mensonge, de la colère, de la convoitise avec une détermination égoïste face au genre humain. La manifestation des trois poisons. Est-ce le vrai visage de l’humanité? Est-ce le seul modèle valable? Comment le moine zen peut-il faire évoluer l’impasse morale dans laquelle notre société se trouve? Comment opérer une transformation, une évolution de la destinée humaine?

Depuis les trente dernières années où la sangha européenne a été livrée à elle-même, la lutte pour le juste et le faux nous a imprégnés des émanations des trois poisons. Nous avons suivi le système, chacun étant sûr de sa vérité, sans faire d’efforts réels pour nous réconcilier. A l’origine, toute notre énergie a servi à maintenir vivant le trésor que maître Taisen Deshimaru nous a légué. Mais si nous continuons à imiter le monde de la poussière rouge dans notre interaction, alors les mérites de sa mission seront perdus. Nous sommes arrivés à développer des sanghas fortes et déterminées à ouvrir de nombreux dojos mais toujours face à la souffrance humaine, l’impact du zen reste minuscule et je crois que nous devons élever le niveau et recouvrir le monde du grand kesa.

Peu importe que le zen soit japonais ou universel, cela reste du domaine des pensées, des souillures, manifestons plutôt la véritable sagesse d’hishiryo. Devenons de véritables sages auprès desquels le monde puisse trouver conseil. Ne suivons pas les systèmes politique, mais devenons les véritables créateurs de la sagesse humaine. N’entrons pas dans un système de grades et de positions, mais faisons en sorte que les jeunes moines, l’avenir de nos missions, manifestent l’esprit du bodhisattva et se tournent vers le monde sans se laisser influencer.